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I Am Not Your Negro

Origine. France / USA / Belgique / Suisse

Type. noir et blanc, v.o.

[…] «I Am Not Your Negro» de Raoul Peck est une assez majestueuse mise en images d’un manuscrit inachevé de James Baldwin, «Remember This House» (évocation des figures de Medgar Evers, de Martin Luther King et de Malcolm X), dit en voix off par Samuel L. Jackson. Le film échappe au didactisme, déjà par sa revisitation critique des imaginaires publicitaires et hollywoodiens des années 30 à 60, et surtout par les échos entre l’inachèvement du projet littéraire et un inachèvement encore plus poignant, celui des luttes pour les droits civiques, dont le mouvement Black Lives Matter est l’héritier…

Cahiers du cinéma n°731, mars 2017

Medgar Evers, mort le 12 juin 1963 / Malcolm X, mort le 21 février 1965 / Martin Luther King, mort le 4 avril 1968. En cinq ans, ces trois hommes ont été assassinés. Trois grands hommes dans l’histoire des Etats-Unis d’Amérique et au-delà. Ils étaient noirs mais ce n’est pas la couleur de leur peau qui les rassemblait. Ils se sont battus pour des causes différentes, avec des outils différents. Mais finalement, les trois ont été considérés comme dangereux parce qu’ils levaient le voile sur le brouillard de la confusion raciale. James Baldwin portait également un regard critique sur la société américaine et il adorait ces trois figures. Il était déterminé à montrer les connections complexes entre leurs pensées. Il voulait écrire sur eux dans ce qui serait son dernier ouvrage. Remember This House. Je ne me suis intéressé à ces hommes et à leur assassinat que bien plus tard. Ces trois événements historiques, depuis leur point de départ, ces « témoignages » qui étaient nécessaires, pourrait-on dire, à une remise en question profonde et intime de ma propre mythologie politique et culturelle et de mes propres expériences du racisme et de la violence intellectuelle. Ces assassinats ont fait écho à mon histoire personnelle. Ces trois scènes de crime redessinaient mon itinéraire personnel entre l’Amérique, l’Afrique et l’Europe. Un voyage à travers un monde qui, comme l’a écrit Achille Mbembe, refuse de reconnaître qu’il existe « plusieurs histoires parallèles du monde » et que les dominants doivent arrêter de considérer l’histoire des autres peuples comme des notes en bas de page de leur propre histoire.

Pourquoi James Baldwin?

La pensée de James Baldwin m’a été fort utile, parce qu’il savait comment déconstruire ces histoires. Il m’a aidé à connecter l’histoire de l’indépendance d’Haïti à l’histoire moderne des Etats-Unis et son héritage douloureux et sanglant de siècles d’esclavage. Baldwin m’a donné une voix, des mots, une rhétorique. Tout ce que je sentais d’intuition et d’expérience, Baldwin lui a donné un nom et une forme. J’avais ensuite toutes les armes intellectuelles dont j’avais besoin. Il est l’un des plus grands écrivains nord-américains de la seconde partie du XXe siècle –un écrivain prolifique et un critique brillant de la société américaine. Il a préfiguré les tendances destructrices que nous voyons à l’oeuvre aujourd’hui dans l’ensemble du monde occidental et au-delà, tout en gardant une vision humaniste pleine d’espoir et de dignité. Il a exploré les subtilités palpables– mais non dites – des distinctions raciales, sexuelles et sociales présentes dans les sociétés occidentales et les tensions inévitables, si on ne les nommait pas, autour des questions d’identité, d’incertitudes, d’aspirations et de quêtes personnelles. Il avait une incomparable compréhension de la politique et de l’histoire et surtout de la condition humaine. Sa prose est précise comme un laser… Chaque phrase est une grenade dégoupillée. quand on l’attrape au vol, on réalise qu’il est trop tard ; elle vous explose au visage. Et pourtant, il réussit toujours à rester humain, tendre, accessible. Aujourd’hui encore, les mots de James Baldwin nous prennent au dépourvu et nous frappent avec la même force et la même violence que quand il les a écrits, il y a plus de quarante ans… […] Jamais la voix de Baldwin n’a été aussi essentielle, puissante, radicale, et visionnaire. James Baldwin n’a jamais terminé Remember This House. L’ambition de ce film est de combler, en partie, ce manque.

Raoul Peck in Dossier de presse